Rébellion de Wagner : les questions qui se posent après la tentative avortée d'Evguéni Prigojine

Le groupe Wagner a finalement fait marche arrière. Pendant 24 heures, l’épopée d’Evguéni Prigojine a défié frontalement l’autorité de Vladimir Poutine, en lançant ses troupes vers Moscou et en promettant de “libérer le peuple russe”. Mais en fin de journée, samedi 23 juin, le patron du groupe paramilitaire a fait volte-face et demandé à ses troupes de quitter leurs positions dans plusieurs villes russes. Aussi brève que spectaculaire, cette rébellion, qui peut s’interpréter comme un coup de pression sur le Kremlin et le commandement militaire, risque de laisser de profondes traces en Russie.

Quel était l’objectif de Prigojine ?

Une des hypothèses les plus partagées reste que l’ancien “cuisinier” de Vladimir Poutine a cherché à renverser les principaux dirigeants de l’armée russe, notamment le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, et le chef d’état-major, Valéri Guerassimov. Depuis des mois, Evguéni Prigojine s’en prend par vidéos interposées au haut-commandement de l’armée russe, souvent pour réclamer davantage de minutions, parfois en accusant l’état-major d’incompétence dans la conduite de la guerre. La brouille est d’ailleurs montée d’un cran récemment, en raison de la demande faite par l’armée aux bataillons du groupe Wagner de signer un “contrat” avec le ministère de la Défense d’ici le 1er juillet.

Cette situation pourrait être une autre explication de l’initiative prise par Prigojine. “Comme tout mercenaire quand il n’est plus payé (…) il réclame d’être payé et déserte s’il n’est pas payé”, analyse le consultant en géopolitique François Chauvancy sur franceinfo. Le leader du groupe paramilitaire aurait donc fait “sa campagne de communication” en mettant une “pression médiatique” sur Vladimir Poutine.

Le but de Prigojine n’était pas de déclencher une guerre civile, confirme sur franceinfo Peer de Jong, un autre spécialiste en géopolitique. “L’objectif, c’est que ça se passe bien, que les portes s’ouvrent et qu’il rentre directement là où il doit rentrer”, analysait samedi ce spécialiste avant la volte-face du rebelle.

L’épopée d’Evguéni Prigojine pourrait aussi avoir été lancée en réaction aux frappes supposément menées, selon le patron de Wagner, par l’armée russe sur des positions de ses troupes. Si ces attaques sont avérées, cela signifie que “Moscou a voulu mettre hors d’état de nuire Prigojine”, explique encore François Chauvancy dans Le Figaro. Si, au contraire, ces frappes n’ont jamais eu lieu, il peut s’agir d’un prétexte du patron de Wagner “pour déclencher une insurrection visant à contrecarrer une prochaine ‘nuit des Longs Couteaux’, lors de laquelle il aurait été éliminé”, envisage le général Chauvancy.

Pourquoi Prigojine a-t-il finalement fait volte-face ? 

“Des garanties ont été données à Prigojine” pour qu’il fasse demi-tour, estime François Chauvancy sur franceinfo. “On a dû faire des promesses financières importantes à Prigojine en disant qu’il sera bien employé, peut-être mieux considéré”, poursuit le spécialiste. Le chef de Wagner ne pouvait par ailleurs “pas se permettre un bain de sang, parce qu’il se présente en tant que patriote”, estime également Peer de Jong, ancien colonel des troupes marines. Il “était de l’intérêt supérieur [de la Russie] d’éviter un bain de sang”, a d’ailleurs déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, samedi soir.

Aucun des combattants du groupe Wagner, qui joue un rôle important aux côtés de l’armée russe en Ukraine, ne sera poursuivi pour le coup de force, selon le Kremlin. “Personne ne persécutera [les combattants], compte tenu de leurs mérites au front” ukrainien, a assuré Dmitri Peskov. Les poursuites seront également abandonnées contre Evguéni Prigojine, qui a pris la direction de la Biélorussie.

“On ignore la teneur” de cet accord, nuance sur franceinfo Françoise Daucé, directrice du Centre d’études du monde russe. “La prise de décision étant extrêmement opaque, on ne sait pas ce qui va se passer derrière”, estime-t-elle, malgré la volonté d’apaisement affichée depuis samedi soir par Moscou.

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Si les termes de l’accord avec Wagner restent sujets à spéculations, il semble que le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, proche allié de Vladimir Poutine, ait joué un rôle-clé. Selon ses services, c’est lui qui a proposé au chef de Wagner de cesser sa progression vers la capitale russe. “Nous sommes reconnaissants envers le président de la Biélorussie pour ces efforts”, a salué le porte-parole du Kremlin. “J’ai des doutes sur son réel rôle et peut-être qu’il a plutôt été utilisé par Poutine”, estime toutefois sur franceinfo Olga Prokopieva, porte-parole de Russie-Libertés, une ONG de défense des droits humains. Si Poutine avait négocié directement avec Prigojine, il aurait un peu perdu la face. Il a eu besoin de faire semblant avec une ‘médiation’.”

Que va devenir Wagner après ce coup de force ?

“C’est un dénouement de façade dans l’immédiat, pour calmer la situation mais on peut penser qu’on n’en restera pas là parce qu’il y a eu une forme d’humiliation de Vladimir Poutine et du haut-commandement de l’armée”, commente Françoise Daucé.

La chercheuse n’imagine pas vraiment que des mutins puissent être réintégrés au sein “des rangs réguliers de l’armée russe”. “Poutine et les services de sécurité essaieront probablement d’affaiblir Wagner ou d’écarter Prigojine”, a tweeté pour sa part Rob Lee, chercheur au Foreign Policy Research Institute aux Etats-Unis. Selon lui, “les effets les plus importants se feront ressentir au Moyen-Orient et en Afrique, où Wagner est très présent”. Pour François Chauvancy, il n’est au contraire pas sûr que Prigojine soit sanctionné pour cette rébellion. “Peut-être même qu’il va récupérer son siège à Saint-Pétersbourg pour continuer à faire des campagnes d’influence, notamment contre la France”, estime-t-il.

Quelles conséquences pour Vladimir Poutine et le pouvoir russe ?

“La seule conclusion, certaine, c’est que le régime poutinien est faible, que les criminels sont en train de se dévorer entre eux”, estime Olga Prokopieva, porte-parole de Russie-Libertés. “Il n’y a que des perdants” dans cette rébellion avortée, observe aussi sur franceinfo Sylvie Bermann, ancienne ambassadrice de France en Russie entre 2017 et 2019. Pour elle, non seulement “Evguéni Prigojine sort perdant”, mais la Russie aussi, en offrant “l’image d’un pays qui ne va pas bien”. L’ancienne ambassadrice considère que “Vladimir Poutine est perdant” lui aussi dans cette affaire. La diplomate rappelle que “la stabilité était le mot d’ordre et l’atout principal” du président russe, qui “à la veille de l’intervention en Ukraine avait les pleins pouvoirs en Russie et était respecté dans le monde entier comme une puissance forte”.

“On a le sentiment d’un affaiblissement, même si le pouvoir de Poutine n’a jamais été réellement mis en cause.”

Sylvie Bermann, ancienne ambassadrice de France en Russie

sur franceinfo

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